Décarboner la mobilité grâce au rétrofit électrique ou hydrogène
Instauration de Zones à Faibles Émissions, interdiction de la vente de véhicules légers thermiques neufs d’ici 2035, objectif de neutralité carbone pour 2050… Autant d’éléments qui intiment de repenser un parc automobile français reposant essentiellement sur les carburants issus d’énergies fossiles. Parmi les alternatives technologiques, un secteur est en pleine croissance : la conversion des moteurs thermiques des véhicules déjà existants, également appelée « rétrofit. »
Utiliser l’existant pour faire du neuf décarboné. C’est ce que propose le « rétrofit », pratique encadrée en France par l’Arrêté du 13 mars 2020 qui consiste à convertir les motorisations thermiques diesel de véhicules en systèmes électriques (batteries) ou hydrogène (pile à combustible et batteries) en remplaçant la chaîne de traction. Une transformation qui concerne aussi bien les voitures individuelles que les poids lourds et se présente comme une solution pertinente pour accompagner la transition énergétique dans le secteur de la mobilité – à l’heure où 30 % des émissions de gaz à effet de serre sont issues des transports, principalement routiers (97 %).
Quels sont les avantages du rétrofit ?
Pour l’usager, le rétrofit présente de nombreux avantages. Économique, pour commencer, puisqu’il permet de passer à l’électrique à moindre coût, le prix de la conversion restant inférieur à celui d’un véhicule à batteries neuf. Écologique, évidemment, puisqu’en plus de passer à un système zéro émission, le fait de conserver la carrosserie d’une voiture en circulation évite la production d’un nouveau modèle et les émissions qui y seraient inévitablement associées. Pratique, ensuite : l’opération de conversion étant très rapide, elle permet aux propriétaires de s’adapter aux nouvelles directives en termes de Zones à Faibles Émissions (ZFE) et d’interdiction des moteurs fonctionnant aux énergies fossiles d’ici à 2035, sans attendre la croissance du marché de l’occasion pour les véhicules électriques ou le développement d’un parc neuf.
En complément du cadre réglementaire de la conversion à l’électrique, le gouvernement s’est engagé à soutenir la filière. Lors du Salon Mondial de l’Automobile en octobre 2022, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, et Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’Industrie, ont ainsi annoncé le déblocage d’une enveloppe de 20 millions d’euros à destination des professionnels du rétrofit. Celle-ci permettra de « financer des solutions industrielles permettant de passer cette technologie à l’échelle afin d’en faire baisser le coût unitaire. »
« Pour bien comprendre ce marché, il faut le diviser en trois », explique Antoine Herteman, Président de l’Avere-France, l’association nationale pour le développement de la mobilité électrique. « Il y a d’abord les véhicules particuliers, puis les véhicules utilitaires légers (VUL) et enfin les véhicules de transport de marchandises et de personnes ainsi que les engins particuliers, tels que les engins de voirie ou encore ceux des aéroports. » C’est pour ces deux dernières catégories que le rétrofit se révèle particulièrement pertinent. En effet, la France compte déjà des acteurs engagés ayant pris à bras le corps la transformation de véhicules à motorisation diesel, notamment des poids lourds.
Safra, le rétrofit hydrogène des bus interurbains
Prolonger la durée de vie des autocars est la mission de Safra depuis sa création en 1955. Spécialisée dans leur réparation et rénovation, l’entreprise a pris le virage de la construction de bus il y a une dizaine d’années, misant sur l’hydrogène – à l’époque encore relativement discret dans le paysage énergétique. Forte de ce double savoir-faire et engagée dans l’accélération de la transition, elle se lance aujourd’hui dans le rétrofit hydrogène des autocars interurbains.
« Ce sont des véhicules qui parcourent 400 à 500 km par jour et pour lesquels une conversion 100 % électrique n’est donc pas adaptée, car elle ne permet pas une telle autonomie », explique Vincent Lemaire, président de Safra. Par ailleurs, l’offre d’autocars H2 neufs est non seulement à ce jour inexistante, mais sa mise en place serait très coûteuse.
Le rétrofit des transports publics représente donc une alternative abordable pour les villes où la mobilité individuelle est de moins en moins encouragée. « Le prix du véhicule une fois converti revient à la moitié d’un neuf. Quant à l’impact environnemental, il est doublement réduit grâce à un moteur zéro émission et le réemploi des autocars à moteur thermique qui sont autrement envoyés dans d’autres pays, où ils continueront à rouler, une fois leur cycle de vie fini chez nous », ajoute Vincent Lemaire. L’opération prend plusieurs semaines par véhicule et peut s’avérer compliquée. Changer le gabarit de l’autocar est interdit. En d’autres mots, aucun élément du nouveau système ne peut être installé à l’extérieur, tout doit être adapté au châssis existant. « C’est un vrai Tetris », ironise Vincent Lemaire, précisant que « le défi n’est pas seulement mécanique, il est aussi informatique car notre logiciel doit pouvoir communiquer avec l’ancien. »
L’expertise rétrofit de l’entreprise albigeoise a été sollicitée par la région Occitanie, qui lui a adressé la commande la plus importante de France : 15 autocars interurbains diesel Mercedes Intouro à convertir et dont la livraison est prévue cette année. Pour Vincent Lemaire, l’avantage de la conversion électrique, lorsqu’adaptée, ou hydrogène, est indéniable pour les poids lourds. Elle représente un levier majeur pour rendre la mobilité plus vertueuse et atteindre l’objectif de neutralité carbone pour 2050. Plus encore, « le rétrofit H2 est une activité qui coche la case de souveraineté énergétique, avec le développement d’une filière hydrogène vert, et la case de souveraineté économique, en créant des emplois. »
Néotrucks, la conversion des poids lourds en engins spéciaux de manutention 100% électrique
À Dagneux, dans l’Ain, Néotrucks a choisi de se spécialiser sur le segment des engins spéciaux, et plus particulièrement des tracteurs de parcs logistiques. Ces véhicules de traction de charges lourdes circulent uniquement à l’intérieur des sites privés, à une vitesse limitée de 25-30 km/h, pour déplacer les semi-remorques. La startup est née en 2020 à l’initiative d’Yves Giroud, qui avait déjà inauguré un tracteur de parc électrique quatre années plus tôt. Partant du constat que les poids lourds sont bien loin d’être exploités sur l’entièreté de leur durée de vie, il a souhaité se positionner sur le développement des solutions de mobilité industrielle issues de l’économie circulaire. « Ces véhicules sont conçus pour durer 15 ans au minimum et pourtant, ils se retrouvent sur le marché de l’occasion après 4 à 5 ans de leasing seulement, explique le fondateur. Pourquoi, alors, produire du neuf alors qu’avec le renouvellement constant des flottes, il y a déjà tant de véhicules d’occasion à disposition ? »
Pour donner vie à sa vision, Yves Giroud combine sa chaîne de valeur avec celle de trois industriels régionaux : Renault Trucks à Vénissieux, qui fournit les châssis-cabines des poids lourds, le carrossier Brevet à Viriat, qui se charge de l’adaptation de la structure et de l’installation des packs batterie, et Novum Tech qui produit ces derniers. Grâce à ces partenariats, Néotrucks lance en 2022 Elyt, le premier tracteur de parc rétrofit, 100 % électrique et issu de l’économie circulaire. Ce type d’engin présente l’avantage de ne pas nécessiter d’homologation, étape complexe et chronophage du rétrofit, puisqu’il n’est plus considéré comme un poids lourd routier. Il ne requiert pas le permis de conduire correspondant et sa structure peut être modifiée. « Au final, le véhicule rétrofité revient 20 à 30 % moins cher qu’un tracteur de parc électrique neuf et surtout, il est reparti pour 12 ans de service. » L’impact environnemental réduit et le process industriel en circuit court made in France ne sont pas les seuls buts de l’innovation. En passant à l’électrique sur ces plateformes logistiques, le dirigeant souhaite améliorer les conditions de travail de ceux et celles qui manœuvrent ces engins au quotidien. « Toute la journée, ils sont exposés aux gaz à effet de serre et au bruit. Dans ce véhicule rétrofité, ces risques pour leur santé n’existent plus ».
Lauréat du concours i-Nov de l’Ademe, financé par Bpifrance, le véhicule entre en phase de preuve de concept chez trois clients ambassadeurs, dont Procter & Gamble à Amiens, l’un des plus gros sites industriels du monde, de juin à juillet 2022. Suite à cet essai, tous passent commande à la startup. L’année 2023 est quant à elle synonyme d’amorçage pour Néotrucks qui prévoit de livrer une vingtaine de véhicules, objectif qu’il entend doubler en 2024. Le marché de la supply chain est porteur : la France compte entre 2 000 et 4 000 engins spéciaux ; mais c’est sans compter les poids lourds déclassés, qui ne sont pas recatégorisés. Selon Yves Giroud, la flotte d’engins à moteur thermique sur le territoire peut être estimée à 20 000 véhiules. « Le potentiel est là, mais les réglementations doivent suivre maintenant si l’on veut que les plateformes logistiques adoptent les bonnes pratiques et les bons véhicules », conclut-il.
Le rétrofiting est-il pertinent pour tous les véhicules ?
Autre véhicule se prêtant particulièrement au rétrofit : le véhicule utilitaire léger (VUL). Comme l’explique Antoine Herteman, président de l’Avere-France, ces derniers « sont très utilisés par les artisans qui y apportent des aménagements spécifiques essentiels et coûteux, et les gardent souvent assez longtemps. Ces professionnels auront besoin de se déplacer au sein des ZFE et donc d’adopter une motorisation zéro émission. La conversion à l’électrique devient alors financièrement compétitive pour eux. » Bien plus spacieux que des citadines, les VUL permettent par ailleurs une installation de batteries facilitée. Toutefois, pour rendre l’opération attractive, « l’industrialisation des kits moteur et batterie est essentielle. »
La voiture individuelle diesel thermique représente, pour sa part, 55,5 % de la flotte nationale, soit 21,8 millions de modèles en circulation en 2022, selon le Ministère de la Transition écologique. Malgré la prime au rétrofit mise en place par le gouvernement et qui permet de financer jusqu’à 80 % la conversion d’une citadine, la pratique reste rare. En 2023, la France ne compte que quelques centaines de véhicules rétrofités en circulation, loin de l’objectif des 65 000 voitures converties en 5 ans que visait l’association AIRe (Acteurs de l’industrie du rétrofit électrique) en 2020. L’industrialisation de la technologie va-t-elle changer la donne ? Le président de l’Avere-France se permet d’en douter : « Les contraintes techniques et l’offre croissante du véhicule électrique d’occasion ne parviendront pas à rendre le rétrofit de ces voitures viables. Toutes les solutions pour décarboner la mobilité sont bonnes », ajoute-t-il. « Il ne faut en dénigrer aucune. Nous y parviendrons grâce à un mix de technologies et le rétrofit électrique des voitures en fera partie, mais il restera minime. »
À lire également – Relink Industries, la startup qui décarbone le secteur de l’agroalimentaire
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